8 questions pour décrypter l’objectif de « zéro artificialisation nette »

pa_viaisDepuis quelques mois maintenant, il n’est pas rare d’entendre parler dans les sphères politiques et techniques concernées par les questions d’aménagement et de planification territoriale du « zéro artificialisation nette ». Le département de Loire-Atlantique s’est même directement saisi du sujet en organisant en juin dernier un colloque entièrement consacré à cette question.

Le concept est désormais souvent abordé voire revendiqué comme un nouvel objectif à atteindre. Pour autant, sa mise en œuvre effective à terme pose évidemment question. Au regard des enjeux environnementaux et climatiques, l’amélioration de l’efficacité de la consommation foncière et la réduction du rythme d’artificialisation des sols sont des objectifs généralisés qui ne font plus débat. Le chemin pour y arriver doit néanmoins prendre en compte toutes les facettes de ce principe et s’adapter aux contextes locaux.

Compte-tenu du rythme moyen actuel de 650 hectares par an artificialisés en Loire-Atlantique , l’objectif parait trés ambitieux pour un territoire aussi attractif. Elle interroge en particulier la capacité des territoires à se coordonner et à mettre en place les conditions pour y répondre, mais également les impacts sociaux et économiques que pourrait engendrer un tel changement dans les façons d’aménager le territoire.  La question ne peut être abordée sous un angle uniquement environnemental. Elle doit aussi prendre en compte l’angle économique et social. Par exemple, dans le contexte sociétal actuel, en prise avec des enjeux contradictoires permanents, la question socio-politique de l’impact d’une telle mesure (en particulier l’acceptabilité de ces conséquences) ne doit pas être écartée.

Afin de voir plus clair sur cet enjeu et les obligations réelles qui incombent localement aux territoires, l’Auran propose un premier décryptage de la situation au travers de 8 questions-réponses :

Ce dossier a pour objectif de faire le point sur l’état des réflexions toujours en cours au niveau national en matière de lutte contre la consommation foncière d’espaces naturels, agricoles et forestiers. Il y apporte un éclairage sur les définitions techniques et les ambiguïtés qui y sont liées, en particulier celle « d’artificialisation nette », avec l’intention de clarifier certaines notions. Quelle différence par exemple entre le nouveau concept d’artificialisation et celui plus ancien et plus communément utilisé de consommation foncière ?  Ces notions, si elles ne sont pas plus précisemment définies et partagées, peuvent avoir des conséquences sur la mise en œuvre des politiques publiques qui y sont afférentes. C’est pourquoi, sans remettre en cause les bienfaits d’une réduction de l’artificialisation, il s’agit ici de mesurer les limites de sa conceptualisation et de comprendre les conditions qui permettraient d’infléchir la courbe d’artificialisation.

La renaturation des sols, et en particulier leur désimperméablisation, peut participer à diminuer l’artificialisation des sols observée mais elle ne sera pas suffisante. Dans le contexte urgent d’adaptation au changement climatique, l’apport complémentaire de nature en ville participera à améliorer localement la qualité du cadre et des conditions de vie des habitants. Toutefois, pour tendre vers le « zéro artificialisation nette », l’effort doit porter prioritairement sur la réduction de l’artificialisation brute des territoires en optimisant et densifiant les espaces déjà artificialisés.

Au travers des interrogations abordées dans ce document, il s’agit également d’apporter une première analyse des différents leviers et moyens d’actions qui peuvent permettre aux collectivités et acteurs de l’aménagement de s’inscrire dans une dynamique de lutte contre l’artificialisation nouvelle des sols, quand bien même l’objectif de neutralité est aujourd’hui difficilement atteignable. Certains outils fiscaux ou dispositifs de mutualisation de moyens sont encore peu mobilisés et mériteraient d’être approfondis.

L’agence poursuivra son accompagnement pour approfondir les analyses et les effets de la mise en œuvre opérationnelle de ses moyens d’actions sur les territoires, en particulier au travers des documents de planification.

 

Pourquoi parle-t-on de lutte contre l’artificialisation ?

La lutte contre la consommation de terres agricoles et naturelles par l’urbanisation n’est pas nouvelle. Depuis 30 ans, ce « combat » est au cœur de la production législative française.

A la fin des années 80, la gestion économe du foncier s’est d’abord focalisée sur certains espaces remarquables (le littoral et la montage notamment), puis à partir des années 2000, le sujet a été abordé de façon plus générale sur tout le territoire français. Depuis la loi Solidarité et Renouvellement Urbains, les collectivités porteuses de documents d’urbanisme sont en effet invitées à densifier les espaces déjà urbanisés pour limiter le phénomène d’étalement urbain constaté sur tout le territoire. Les lois Grenelle et ALUR sont venues renforcer les dispositifs existants en introduisant notamment une obligation de mesure de la consommation d’espaces naturels et agricoles et de modération par rapport aux années antérieures.

 

C’est récemment que le terme plus technique d’artificialisation des sols a complété dans les discours celui de gestion économe de l’espace, de consommation d’espaces naturels ou d’étalement urbain.

Ce changement de langage vient en partie du changement de regard porté sur les effets négatifs de cette consommation foncière. Jusqu’alors, les conséquences du développement urbain en extension des bourgs étaient en effet essentiellement observés sous le prisme de leurs impacts sur l’activité agricole et sur les conséquences socio-économiques de l’étalement urbain. En témoigne la création d’un observatoire national de la consommation d’espaces agricoles (ONCEA) qui a vu le jour en 2013 suite à la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.

Or, parallèlement à la prise de conscience croissante au niveau mondial et national du changement climatique et de la dégradation rapide des ressources naturelles, des études scientifiques sont venues éclairer les relations qui existent entre l’artificialisation des sols et l’érosion de la biodiversité. La destruction et la fragmentation des espaces naturels par l’artificialisation des sols est en effet l’une des principales causes avancées pour expliquer la perte rapide de biodiversité à l’échelle mondiale (même si elle n’est pas la seule en cause).

Les principales conséquences imputées à l’artificialisation des sols :

•    Appauvrissement de la biodiversité et fragmentation des espaces

•    Diminution des capacités de stockage de carbone par les sols

•     Contribution aux phénomènes d’inondation par accélération du ruissellement des eaux pluviales

•     Perte de ressources pour l’agriculture

•    Moteur de l’étalement urbain et de ses conséquences (allongement des distances domicile-travail, hausse des émissions de C02, hausse des dépenses publiques et d’équipements…)

 

Au niveau national, le constat effectué est le suivant  : quelle que soit la source, en rapportant la surface artificialisée à la densité de population, la France apparaît plus artificialisée que les principaux États membres de l’Union européenne (47 km2 pour 100 000 habitants en France contre 26 en Italie, 30 au Royaume-Uni et 41 en Allemagne par exemple ). En outre, depuis les années 80, son artificialisation a été nettement plus rapide que la croissance de sa population totale . En gardant le rythme actuel, une surface de la taille du Luxembourg serait artificialisée d’ici 2030.

Parallèlement, à l’échelle mondiale, le rythme actuel d’extinction des espèces est sans équivalent depuis la fin des dinosaures. En France, le nombre d’oiseaux a baissé d’un tiers en quinze ans. C’est pourquoi, dans ce contexte, le gouvernement français a souhaité faire de la biodiversité une priorité nationale, donnant lieu en juillet 2018 à l’écriture d’un Plan biodiversité. Celui-ci fait de la lutte contre l’artificialisation des sols l’un de ses axes prioritaires, aux côtés d’autres objectifs tout aussi importants (lutter contre les pollutions en tout genre, accompagner l’agriculture dans une transition agro-écologique, développer la nature en ville etc.).
Depuis 2015, la loi 2015-411 sur les nouveaux indicateurs de richesse avait déjà intègré aussi le critère de l’artificialisation pour mesurer la qualité de vie en France.

 

L’artificialisation des sols, c’est quoi ?

Le dictionnaire Larousse donne comme définition de l’artificialisation : « une modification du milieu (sol, climat) ou des plantes, provoquée par l’homme (en vue d’améliorer les conditions d’une production agricole) ». Cette définition, aussi simple soit-elle, ne parait plus pertinente aujourd’hui pour éclairer les enjeux que le phénomène recouvre.

L’artificialisation des sols est une notion relativement neuve dans le débat public. C’est pourquoi, dans les textes juridiques et légaux, le terme n’est pas encore renseigné, laissant aujourd’hui à chacun la libre appréciation de la définir et de la mesurer.

En se tournant vers les productions scientifiques qui ont éclairé ces dernières années les réflexions politiques, le gouvernement a retenu une définition relativement conventionnelle, laissant encore beaucoup de marges d’interprétation  :

L’artificialisation est définie comme la transformation d’un sol naturel, agricole ou forestier, par des opérations d’aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale, afin de les affecter notamment à des fonctions urbaines ou de transport (habitat, activités, commerces, infrastructures équipements publics…).

Derrière cette définition, c’est surtout la notion d’espace « artificialisé », s’inscrivant comme le contraire de « naturel », qui marque toute son ambiguïté et crée du débat.

Les différents organismes et institutions de recherche ayant éclairé le sujet s’accordent sur le même type de définition à savoir :

Un sol artificialisé est un sol retiré de son état naturel, forestier ou agricole par l’homme, qu’il soit bâti ou non et qu’il soit revêtu ou non. Il résulte de l’urbanisation au sens large et comprend donc toutes les surfaces supportant une activité humaine (en dehors des terres agricoles et sylvicoles non bâties ou revêtues).
Au regard de cette définition, un sol artificialisé se rapproche alors beaucoup de la notion d’espace anthropisé ; la différence étant que les espaces agricoles et forestiers, bien qu’anthropisés pour la plupart, ne seraient pas considérés comme artificialisés.

A la lecture de ces définitions, il est évident que celles-ci ne sont pas complètement satisfaisantes et laissent encore des flous sur la perception et la prise en compte du sujet. Chacun, en fonction de ses pratiques et de ses expériences, fait encore recours à différentes notions pour illustrer plus ou moins les  mêmes enjeux. Ces entrées, à la fois complémentaires et contradictoires, renvoient chacune à des objets d’observation différents. Ainsi par exemple, un sol peut être artificialisé mais perméable, et en milieu rural. L’artificialisation n’est pas que de l’imperméabilisation, ni tout à fait de l’urbanisation… L’analyse des phénomènes ne doit pas s’obstiner à vouloir obligatoirement les comparer.

Plusieurs types d’espaces font encore débat au regard de leur caractère artificiel ou non : les mines, carrières, décharges, mais aussi en particulier les équipements sportifs non bâtis (golf, terrains de sport…), les jardins ou encore les espaces verts urbains. Au regard des bases de données dont ils disposent, les auteurs de l’observatoire national de l’artificialisation ont fait le choix de les considérer comme des espaces artificialisés (quand bien même des valeurs écologiques leurs seraient reconnues par ailleurs), tout en veillant à expliquer les ambiguïtés qu’ils soulèvent et les limites de leur observation .

A noter que quelle que soit la définition retenue, les dommages occasionnés par l’artificialisation peuvent être très différents au regard du contexte dans lequel elle s’effectue (en continuité d’un bourg ou en mitage de l’espace agricole par exemple) et du type de sol sur lequel le processus s’effectue. Aussi, la mesure quantitative de l’artificialisation devrait pouvoir s’accompagner d’une analyse qualitative de la valeur du « vide » artificialisé permettant de nuancer le phénomène, et si possible d’évaluer son impact écologique (notamment au travers des évaluations environnementales). L’introduction du concept d’artificialisation, s’il n’est pas plus précisemment défini et partagé, risque par conséquent de générer des conséquences sur l’évaluation des phénomènes incriminés et la mise en œuvre des politiques publiques afférentes.

 

Quelle différence entre artificialisation des sols et consommation foncière ?

En l’absence de définition précise et en fonction des bases de données disponibles, chaque territoire a qualifié et observé différemment la consommation d’espaces naturels et agricoles.

L’Auran, comme d’autres agences, définit la consommation d’un espace comme la conséquence d’une action sur un espace ayant pour effet une mutation dans la nature de l’occupation du sol initiale de cet espace vers une autre occupation du sol. Par exemple la consommation d’espaces agricoles par l’urbanisation, la consommation d’espaces agricoles par la forêt etc. Les consommations d’espaces sont mesurables par la superficie des espaces consommés sur une période de temps donnée. La notion de consommation d’espace devrait ainsi être toujours utilisée en spécifiant la nature initiale et la (les) nature(s) nouvelle(s) de l’occupation du sol.

L’artificialisation et la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers par l’urbanisation relèvent du même processus consistant à transformer des espaces naturels, agricoles ou forestiers en espaces « urbanisés ». De façon générale, la notion d’artificialisation présente un caractère plus technique et statistique, alors que celle de consommation foncière s’est généralisée au travers des documents d’urbanisme et du champ politique.

Jusqu’à présent l’attention des pouvoirs publics s’est portée plus particulièrement sur la consommation d’espaces agricoles, boisés et/ou naturels, en référence au code de l’urbanisme qui demande aux documents d’urbanisme (SCoT et PLU) de fixer des objectifs chiffrés de consommation économe de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain.

Ainsi, la mesure de l’artificialisation et celle de la consommation d’espaces naturels et agricoles par l’urbanisation peuvent comporter des différences ou non, selon les objets qu’ils observent. Le changement d’occupation d’un fond de jardin par une nouvelle construction pourra être considéré comme une consommation nouvelle d’un espace jusqu’alors non urbanisé, alors qu’au regard de la définition conventionnelle retenue pour l’artificialisation (cf. définition ci-avant), le fond de jardin peut être considéré comme un espace déjà artificialisé.

 

Enfin, en corrélation avec la notion d’artificialisation, d’autres termes sont couramment employés, en particulier au travers des documents d’urbanisme. Cela fait maintenant une vingtaine d’années que les concepts et les terminologies ont évolué. Certains de ces termes méritent aujourd’hui d’être définis pour lever les incertitudes et éventuelles ambivalences, et faciliter la compréhension d’un langage commun. L’Auran, à travers le glossaire synthétique ci-après, propose les définitions des principaux termes rencontrés, en s’appuyant sur les définitions les plus consensuelles possibles.

Étalement urbain : L’étalement urbain ne possède pas de définition officielle ou juridique. La notion est souvent couramment utilisée pour parler de l’urbanisation croissante des villes. Pourtant, plusieurs experts  lui donnent une définition plus précise liant l’augmentation des extensions à l’évolution démographique. Ainsi, quelle que soit l’échelle d’observation, il y a étalement urbain quand la surface artificialisée  en extension sur un territoire croit plus vite que sa population, faisant ainsi augmenter la surface consommée par habitant. Un territoire vertueux, sous cet angle, est un territoire qui augmente sa densité pour chaque nouvel habitant arrivant sur son territoire.

Enveloppe urbaine : périmètre au sein duquel des espaces urbains forment un ensemble morphologique cohérent. Ainsi, l’enveloppe comprend les parcelles bâties, le réseau viaire, mais aussi certains espaces artificialisés et non bâtis, tels que les parcs et jardins urbains. L’enveloppe urbaine permet de disposer d’une représentation de l’espace urbain à un instant « t », et d’observer ainsi objectivement son évolution passée et future.

Extension urbaine : accroissement des surfaces urbanisées en dehors de l’enveloppe urbaine.

Gisements fonciers : au sein de l’enveloppe urbaine, parcelles nues et potentiels de découpage de parcelles bâti présentant des capacités de densification et de construction.

Imperméabilisation des sols : notion souvent confondue avec l’artificialisation alors qu’il s’agit d’une définition plus restrictive. L’imperméabilisation correspond à l’évolution des sols nouvellement bâtis et/ou revêtus avec un matériau ne laissant pas filtrer l’eau.

Périurbanisation : La périurbanisation peut être définie comme l’augmentation des communes sous influence urbaine d’une ville-centre ou d’un ensemble urbain, entrainant une transformation des espaces ruraux par extension de leurs surfaces urbanisées. D’un point de vue statistique, le périurbain est compris dans l’espace à dominante urbaine des aires urbaines définies par l’INSEE. Il regroupe les communes qui sont considérées comme étant sous influence urbaine du fait des déplacements domicile-travail, en l’occurrence du fait que 40% au moins de leur population active travaillent dans le pôle urbain sous l’influence duquel elles se trouvent.

Renaturation / Désartificialisation : ensemble des processus permettant de ramener un sol artificialisé à un état proche de son état naturel initial ou tendant vers cet état. Les différentes étapes pour renaturer un sol font encore débat. Il s’agirait de déconstruire préalablement les éléments artificiels existants, dépolluer,  désimperméabiliser le cas échéant, puis de reconstruire un sol adapté à la reconnexion fonctionnelle des écosystèmes naturels environnants (apports de terres végétales, reconstitution d’une végétation etc.).

Renouvellement urbain : processus de mutation ou de construction se faisant au sein de l’enveloppe urbaine sur des surfaces déjà urbanisées. Il peut s’agir soit d’une opération de démolition/reconstruction, soit d’une opération de construction sur un terrain nu ou une partie de parcelle déjà construite (fonds de jardin par exemple).

Urbanisation : l’urbanisation peut être définie comme le processus d’aménagement d’un espace géographique pour lui permettre d’accueillir une fonction urbaine résidentielle, récréative, économique autre qu’agricole, de déplacement ou de services urbains. L’urbanisation résulte d’une autorisation donnée par l’intermédiaire d’un document de planification (SCOT et/ou PLU) pour l’aménagement de cet espace, qu’il soit naturel ou déjà partiellement ou anciennement urbanisé.

Au regard de ces premiers éléments d’éclairage, il est apparant que le travail de définition de l’artificialisation nécessite encore d’être affinée et précisée, en tenant compte de toutes les facettes que recouvrent cette notion. Il s’agit dorénavant de partager collectivement les questions que la mesure de l’artificialisation pose encore, ainsi que les enjeux opérationnels qui en découlent. L’Auran souhaite accompagner ses adhérents dans la progression de cette réflexion collective en mettant à leur disposition l’ensemble des expertises mobilisées jusqu’à présent.

 

D’où vient l’objectif de « zéro artificialisation nette » ?

Face aux constats effectués en matière de perte de biodiversité, c’est la Commission Européenne qui, la première, a officialisé en 2011 un objectif européen d’arrêt de « toute augmentation nette de la surface de terre occupée » d’ici 2050 .

Le 4 juillet 2018, le ministère de la transition écologique et solidaire, publiait le Plan Biodiversité. Cette feuille de route gouvernementale est structurée en 6 axes :
Axe 1 : Reconquérir la biodiversité dans les territoires
Axe 2 : Construire une économie sans pollution et à faible impact sur la biodiversité
Axe 3 : Protéger et restaurer la nature dans toutes ses composantes
Axe 4 : Développer une feuille de route européenne et internationale ambitieuse pour la biodiversité
Axe 5 : Connaître, éduquer, former
Axe 6 : Améliorer l’efficacité des politiques de biodiversité

C’est au travers de l’axe 1 (mesure 1.3) qu’est introduit la proposition d’un objectif de « Limiter la consommation d’espaces naturels, agricoles, et forestiers pour atteindre l’objectif de « zéro artificialisation nette ».

 

Quelle est la valeur juridique du Plan Biodiversité ?

Il s’agit d’une feuille de route nationale dont les mesures sont portées par le gouvernement et par l’Agence française pour la biodiversité (AFB).

Le plan n’a pas de traduction législative. Les codes juridiques qui encadrent la planification et la gestion des sols n’ont pas encore été modifiés suite à ce plan, ce qui en théorie ne les inscrit pas dans un rapport juridique d’opposabilité avec ce plan.

Ce sont les objectifs chiffrés, en particulier le « zéro artificialisation nette », et les mesures au caractère réglementaire dont on a du mal aujourd’hui à appréhender la portée réelle. L’État y fait ouvertement référence comme une disposition opposable (cf. encadré page suivante) alors que l’objectif n’est pour le moment qu’intentionnel.

 

Si la Commission Européenne fixe à son échelle un horizon à 2050 pour atteindre cet objectif, le Plan Biodiversité est resté quant à lui muet sur la question de l’échéance pour la tenue de celui-ci, renvoyant à « la définition d’un horizon temporel en concertation avec les parties prenantes ». Les collectivités sont pour le moment invitées à fixer un objectif de maîtrise ou de réduction de l’artificialisation des sols compatibles avec la trajectoire nationale définie, à l’occasion de la révision de leurs documents d’urbanisme.

Aujourd’hui, la Région Pays de la Loire, dans le cadre de l’élaboration du SRADDET, envisage d’inscrire dans son projet de fascicule de règles l’objectif de tendre vers « zéro artificialisation nette » à l’échelle régionale pour 2050. Si la règle était confirmée alors les SCoT devraient, au moment de leur révision, se mettre en compatibilité avec cette disposition. A ce stade, son écriture reste encore suffisament approximative pour que les territoires s’inscrivent dans le mouvement en fonction de leurs capacités. Pour autant, il y a un véritable enjeu à statuer rapidement sur les définitions et méthodologies proposées par les services de l’Etat, sans quoi le sujet pourrait à court terme fragiliser juridiquement l’ensemble de ces documents.

 

Ceci explique en partie cela…

Le 29 juillet 2019 une instruction gouvernementale appelait les préfets et services déconcentrés de l’État à renforcer leur mobilisation et leurs actions en faveur de la lutte contre l’artificialisation des sols. Rien de nouveau finalement au regard des objectifs nationaux poursuivis, mais il semble que cette instruction ait été très vite prise au pied de la lettre par un certain nombre de services d’État, qui se sont mis à contrôler de façon plus ferme des documents d’urbanisme élaborés par les collectivités. Un changement de posture qui fait aujourd’hui couler de l’encre et qui s’inscrit en porte à faux avec la position jusque-là dominante d’une planification « négociée ». Jusqu’alors pourtant les instructions gouvernementales, en dehors des éléments codifiés dans le droit français,  ne sont pas opposables aux collectivités.

 

L’artificialisation « nette », comment la mesurer ?

L’artificialisation « nette » est le résultat d’une soustraction théorique signifiant que l’on va déduire de l’artificialisation « brute » (ce qui est nouvellement artificialisé), les surfaces qui auront été renaturées.
Ainsi, de façon théorique, sur une même période, si un territoire a artificialisé 2 hectares de terres agricoles en extension de son enveloppe urbaine mais qu’il a renaturé une friche de 1 hectare, alors l’artificialisation « nette » de ce territoire sera de 1 hectare.
Derrière l’enjeu  et le débat de définition de l’artificialisation « nette » on retrouve ceux de la mesure et de l’évaluation de ce phénomène. Chaque base de données disponible aujourd’hui comporte en effet des différences en termes d’échelle et de temporalité, générant ainsi des avantages et des inconvénients qui doivent être appréciés au regard des objectifs recherchés et des politiques publiques qui les utilisent.

Au travers du Plan Biodiversité (action n°7 de l’Axe 1), le gouvernement s’est fixé un objectif de fournir des chiffres annuels, à une maille communale, et avec une méthode homogène, sur le phénomène d’artificialisation. C’est pourquoi a été mis en place un observatoire de l’artificialisation à l’été 2019 : https://artificialisation.biodiversitetousvivants.fr/

Or, à l’heure actuelle, seule la source de données Fichiers Fonciers était disponible à l’échelle nationale et pertinente pour répondre aux critères fixés (maille fine et données annuelles). Basée sur les changements de catégories fiscales des terrains, cette source de données permet de cartographier à l’échelle cadastrale les terrains selon une classification en 13 postes (terres, bois, carrières, jardins, terrains à bâtir…) eux-mêmes regroupés pour l’observatoire en deux catégories : les espaces « artificialisés » et les « non artificialisés ».
Malgré les avantages d’une telle donnée à l’échelle de la France, celle-ci présente encore plusieurs inconvénients qu’il s’agit d’avoir à l’esprit au moment de son analyse. Ainsi, la plus grosse critique émise sur cette source est qu’elle ne comptabilise pas les espaces non cadastrés, et en particulier les voiries reversées au domaine public. En outre, le classement de certains espaces en terrains artificialisés ou non peut encore être source de débats et générer des différences d’analyses et d’interprétations importantes entre territoires (cf. espaces « ambigus » listés par le CEREMA lors de l’analyse des fichiers fonciers pour élaborer l’observatoire de l’artificialisation). Les terrains classés en « chantiers » en particulier peuvent être source d’erreurs statistiques. Certains terrains ont ainsi été classés en anticipation dans cette catégorie, alors que les travaux n’avaient pas encore été engagés (cf. terrains classés en chantier sur le tracé du projet de voie qui devait desservir le futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes). Conscients de ces défauts et afin de minimiser les erreurs d’interprétation, les services en charge de l’observatoire national ne souhaitent analyser les fichiers fonciers que sous un angle de flux d’artificialisation entre deux dates (ce qui ne résoud pas vraiment le problème).

Les services de l’État et l’IGN réfléchissent actuellement à la généralisation d’une Occupation du Sols à Grande échelle (OCSGE), existante pour les Pays de la Loire pour deux années millésimes, qui permettrait une autre observation fine du phénomène à l’échelle nationale. Si cette dernière venait à aboutir, elle viendrait alors s’inscrire en complément des analyses produites à partir des fichiers fonciers. De même pour les données Terruti-Lucas  et Sit@del 2  qui viendront prochainement alimenter l’observatoire.

 

Comment se situe la Loire-Atlantique en matière d’artificialisation des sols ?

En Loire-Atlantique, l’artificialisation des sols ralentit depuis une dizaine d’années. Cette tendance s’explique probablement par la crise de la construction qui s’est produite en 2008 mais aussi certainement par les mesures prises par les collectivités au sein de leurs documents d’urbanisme en application des lois Grenelle puis ALUR.

  • Pour autant, à l’échelle nationale, l’artificialisation continue de progresser souvent plus vite que la population. Ce phénomène s’explique en partie par le constat fait sur de nombreux territoires d’un étalement urbain continu. L’institut d’analyse IDDRI vient toutefois nuancer cette analyse en identifiant des situations locales trés hétérogènes. Ainsi, 4 grandes catégories de territoires peuvent être identifiées :
  • Des territoires plutôt ruraux où la croissance démographique et économique est faible, voire négative et où la progression de l’artificialisation est inférieure (Ardèche, Cantal, Finistère…) ;
  • Des zones très denses et artificialisées, à forte croissance démographique et économique et où l’artificialisation marque le pas (c’est le cas par exemple de l’agglomération lyonnaise) ;
  •  Des territoires avec une forte progression de l’artificialisation, sans pression démographique et économique forte. Cette situation est la plus préoccupante et concernerait un tiers des départements français (c’est le cas de la Sarthe et de la Mayenne par exemple) ;
  • Des départements où l’artificialisation est forte, corrélée à un dynamisme démographique et économique souvent sous l’influence d’une grande ville. C’est en particulier le cas de la Loire-Atlantique dont la population croit chaque année d’environ 17 000 nouveaux habitants.

Cette typologie de territoires renvoie à la notion d’efficacité ou d’optimisation de la consommation foncière des terres agricoles et naturelles, et au phénomène d’étalement urbain.

En Pays de la Loire, et plus particulièrement en Loire-Atlantique et en Vendée, les situations sont aussi trés contrastées.
Dans leur porter-à-connaissance, les services de l’Etat ont porté à l’attention des auteurs du SRADDET une cartographie de typologies des territoires au regard d’un indicateur d’étalement urbain établi à partir des données démographiques et des fichiers fonciers (source : DGFip Majic).  Ce travail, réalisé antérieurement à la mise en place de l’observatoire de l’artificialisation, s’appuie sur une nomenclature des sols différente de celle proposée aujourd’hui par le ministère. Elle mérite par conséquent d’être réactualisée avec des données à jour mais également croisée avec d’autres indicateurs (d’emploi, de démographie, de densité etc.) qui permettront de mieux contextualiser les phénomènes observés.

NB : la nomenclature des fichiers fonciers utilisés pour qualifier les espaces d’artificialisés ou non ne correspond probablement pas à celle utilisée actuellement par l’observatoire national de l’artificialisation, ce qui expliquerait que certaines communes ressortent ici comme ayant connu une diminution de leurs surfaces artificialisées.

Dans l’attente de ce travail à approfondir avec nos partenaires, une première actualisation basée sur les fichiers fonciers 2009-2017 et les données insee 2010-2016 a été réalisée sur la Loire-Atlantique. Ces résultats sont toutefois à utiliser avec précaution et à nuancer compte-tenu des biais inhérents à la base de données fiscales et aux ambiguïtés relevées précédemment (classification des chantiers notamment).
Entre 2009 et 2017, l’ensemble des communes de Loire-Atlantique ont connu un taux de croissance annuel moyen positif de l’artificialisation des sols. Toutefois, au regard des données démographiques disponibles, des catégories de territoires peuvent être précisées  :
– Type 1 : les communes où l’étalement urbain a progressé
Sur ces communes, le taux de croissance annuel moyen de la population est négatif entre 2010 et 2016, alors que les surfaces artificialisées ont connu un taux positif. Sous l’effet cumulé de la baisse du nombre de personnes par ménage, de la vacance de l’habitat ancien vieillisant et d’un développement résidentiel pavillonnaire encore dominant (dont une part parfois importante de résidences secondaires), ces territoires sont particulièrement concernés par le phénomène d’étalement urbain.

– Type 2 : les communes où l’étalement urbain ralenti
La population a augmenté mais moins vite que les surfaces artificialisées. Comme la première catégorie de territoires, les facteurs de l’étalement urbain (décohabitation, modèles d’urbanisation résidentiels et économiques consommateurs d’espace, faible densification des tissus…) concernent ces territoires.

– Type 3 : les communes où la croissance démographique est plus forte que la croissance de l’artificialisation
L’artificialisation des sols continue de progresser sur ces territoires mais, sous l’effet d’un dynamisme démographique et économique, la population a connu un taux de croissance plus important que le celui des surfaces artificialisées. Cette catégorie, comme la précédente, recouvre toutefois des situations locales trés contrastées dont l’analyse devra être affinée au regard d’autres indicateurs (optimisation et efficacité de la consommation foncière, taux de croissance de l’emploi… etc.). Elle ne permet pas de distinguer notamment les communes qui ont réalisées des efforts particulièrement importants ces dernières années, notamment sur la métropole nantaise.

La mise en œuvre d’une politique publique de gestion économe de l’espace ne peut s’extraire de ces différents contextes et doit prendre en compte les différentes composantes (environnementales, sociales, démographiques et économiques) des territoires sur lesquels elle s’applique.

En Loire-Atlantique, l’analyse des Fichiers Fonciers révèle un flux d’artificialisation de 5 197 hectares entre 2009 et 2017 soit une moyenne d’environ 650 hectares / an sur cette période. Ce flux d’artificialisation correspond pour 2/3 à une artificialisation liée à l’habitat, le reste étant lié principalement à l’activité économique. A première vue donc, même en engageant des compensations, atteindre un bilan net de 0 hectare, même d’ici 2050, ne doit pas être un objectif en soi à imposer de la même façon à tous les territoires. Une inflexion dans les pratiques doit être engagée en poursuivant les transitions déjà à l’œuvre, mais face à la réalité de la situation, une rupture nette n’est pas faisable.

 

Tendre vers le « zéro artificialisation nette » : à quelles conditions ?

Dans le contexte bien particulier de la Loire-Atlantique et notamment des territoires de l’agglomération nantaise,  la question n’est pas tant de savoir comment atteindre une neutralité chiffrée effective que d’essayer de tendre plus fortement encore vers une amélioration de l’efficacité foncière et d’engager un changement dans les manières de concevoir le développement urbain.

Quatre réflexions nous paraissent conditionner la mise en œuvre d’une telle inflexion :

  • La mise en œuvre d’une politique foncière plus efficace : la maîtrise foncière dans toutes ses composantes (connaissance, étude, maîtrise, portage) est un enjeu majeur. L’observation des potentiels de mutation et de densification en est un préalable essentiel qui devrait être plus rapidement saisi et engagé par les territoires, dans la perspective d’une plus grande maitrise publique de l’aménagement et de l’optimisation des terrains.
  • Le renforcement d’un développement urbain multipolaire : face au constat d’un relatif échec de la planification territoriale sur cet aspect (armature urbaine), la mise en œuvre effective d’une plus forte polarisation des activités et du développement résidentiel sur certaines communes reste l’un des défis des prochaines décennies. Aujourd’hui, malgré une volonté affichée dans la plupart des documents de renforcer certains pôles structurants, ces derniers peinent à se distinguer réellement et à jouer un rôle fort de relais dans le développement résidentiel et économique du territoire ligérien. Depuis 2015, alors que la demande de logements augmentait, la construction s’est stabilisée à un niveau certes plus élevé qu’avant 2008 dans la métropole nantaise, mais l’accélération s’est reportée dans les territoires périurbains. Or, l’accélération observée sur les pôles structurants s’est avérée sensiblement moins forte que dans le reste de la couronne périurbaine de Nantes.
  • L’accompagnement de l’acceptabilité sociale de la densification : plus que jamais, celle-ci est nécessaire pour réduire à la source le besoin d’extension urbaine. Elle nécessite cependant une position politique assumée ainsi qu’un accompagnement pédagogique plus important auprès des habitants. Aujourd’hui, les plus grosses opérations de densification sont mises en œuvre sur les territoires les plus urbains (les quartiers déjà artificialisés de l’Ile de Nantes et du quartier Gare sud en particulier). Celles-ci ne suffiront cependant pas à elles-seules à réduire le besoin d’artificialisation. L’effort doit être plus amplement partagé au sein de tous les territoires.
    Or, cette densification sera d’autant plus acceptée que ses conséquences sur le cadre de vie des habitants seront également mieux anticipées. Cela passera notamment par une meilleure prise en compte des enjeux de nature en ville et d’adaptation du territoire  aux changements climatiques (travail sur les îlots de chaleur par exemple). Les territoires devront ainsi améliorer leurs connaissances sur la qualité des sols mais aussi sur les modalités de densification des tissus en fonction des différents contextes.
  • La mesure des conséquences sociales de la pression foncière et immobilière : une autre question que doit se poser la puissance publique est celle des effets secondaires que peut avoir la non construction de logements sur le territoire induit par la mise en application du concept d’arrêt de l’artificialisation. La mise en œuvre de cette mesure doit considérer les conséquences d’une réduction de l’offre foncière à urbaniser sur le coût de l’immobilier et du foncier. Par effet ricochet, et en fonction des territoires, cela pourrait avoir pour effet de rendre encore plus difficile l’installation de tous les ménages qui eux ne s’arrêteront pas pour autant de venir. L’équation sera particulièrement difficile à résoudre pour les ménages les plus modestes et les classes moyennes. La dynamique de spécialisation socio-spatiale des territoires actuellement observée ne pourrait qu’en être accentuée.
Quels moyens et leviers d’actions pour accélérer la transition ?

Au-delà des conditions à la fois sociétales et politiques qui conditionnent le sens de la trajectoire pour tendre vers le « zéro artificialisation nette », la mise en pratique concrête du principe passe par deux types de moyens d’actions :

  • Le premier et le principal : la limitation de l’artificialisation (brute), en produisant davantage les nouvelles constructions dans les enveloppes urbaines par l’intermédiaire de plusieurs moyens à adapter aux situations locales (cf. page suivante).
  • Le second moyen complémentaire est de « rendre à la nature » certains espaces en les renaturant.

Plus concrêtement, il est proposé de s’appuyer sur l’exemple de la Métropole nantaise pour illustrer la complexité de la mise en œuvre de ces deux grands types d’actions et mesurer le niveau d’effort supplémentaire qui devrait être fourni par les territoires pour s’engager dans une telle inflexion.

Depuis plusieurs années déjà, le territoire métropolitain s’engage dans des opérations de renouvellement urbain majeur pour limiter son développement en extension. La transition en matière de consommation d’espaces est ainsi déjà bien amorcée. En s’engageant au travers du SCoT et de son PLU métropolitain sur un objectif ambitieux de réaliser 80 % de son développement urbain au sein de ses enveloppes urbaines et de réduire de 50% ses extensions urbaines par rapport à la période 2004-2014, la Métropole s’est engagée dans une trajectoire volontariste de diminution de l’artificialisation.
Pour autant, de très forts besoins de développement sont encore à satisfaire. Pour répondre aux besoins générés par le fort dynamisme du territoire et permettre l’accueil de nouvelles opérations d’aménagement, son projet de développement résidentiel et économique s’appuie ainsi encore sur environ 1000 hectares de zones à urbaniser. Au regard des définitions explicitées ci-avant, ces zones n’ont certes pas vocation à être toute intégralement artificialisées. Néanmoins, pour s’essayer ici à l’exercice théorique de calcul de la future artificialisation, nous avons croisé ces zones à urbaniser avec les terrains déjà artificialisés des fichiers fonciers de 2017 . Ce développement pourrait ainsi avoir pour effet d’artificialiser à terme au maximum environ 750 nouveaux hectares (300 ha pour un développement à dominante économique et un peu plus de 450 ha pour un développement mixte ou résidentielle).

Partant du principe que ce projet territorial est déjà calibré au plus juste pour répondre aux besoins des nouveaux habitants et entreprises de son territoire, l’exercice conduit de façon purement théorique donc de façon irréaliste (et avec toutes les précautions à prendre vis-à-vis des définitions et sources utilisées), nous amène à envisager les options complémentaires ci-dessous pour tendre vers le « zéro artificialisation nette » :

  • Ne pas ouvrir à l’urbanisation les zones à urbaniser prévues. Pour les 450 hectares à vocation résidentielle, avec une densité moyenne minimum de 40 logements / ha, cela représenterait au global un manque de 18 000 logements sur la métropole par rapport aux besoins exprimés. Pour le développement économique, ne pas ouvrir à l’urbanisation les 300 hectares prévus, viendrait rajouter une tension supplémentaire sur le marché du foncier économique, déjà extrêment tendu sur la métropole.
  • Réduire le besoin en extension en mobilisant davantage les capacités au sein de l’enveloppe urbaine. Cela passe par de plus fortes densités et hauteurs y compris dans les zones d’activités, le réinvestissement de friches et la mobilisation des espaces nus (fonds de jardins, « dents creuses », espaces verts, espaces publics…).
  • Réduire le besoin d’artificialisation dans les zones d’extension économiques et résidentielles en y augmentant notamment les densités minimum. En matière d’habitat, la densité moyenne au sein de ces zones est déjà fixée par le SCoT en moyenne à 40 logements / hectare pour la métropole nantaise;
  • Renaturer des espaces artificialisés, amenant inévitablement les bilans d’opérations à s’alourdir ;

Cet exercice nous amène à alerter les acteurs de l’aménagement sur l’enjeu de venir préciser rapidement les définitions et modalités d’analyse à mettre en place, et à rester prudent sur les objectifs à fixer dans le contexte bien particulier de l’aire urbaine nantaise.

En aménagement, il existe déjà aujourd’hui un principe réglementaire visant à limiter les atteintes à l’environnement et à compenser les effets notables sur la biodiversité qui n’auraient pu être éviter : il s’agit de la séquence « Eviter-Réduire-Compenser » (ERC). Pour tout projet d’aménagement, d’infrastructure ou de construction et tout document de planification soumis à autorisation ou évaluation environnementale, ce cadre juridique impose de réaliser des études et de mettre en oeuvre le principe : Eviter au maximum les impacts négatifs, puis Réduire les impacts résiduels et enfin les Compenser afin d’aboutir à une absence de perte nette de biodiversité. C’est dans ce cadre que les documents de planification peuvent jouer à leur niveau un rôle d’évitement stratégique.

Aussi, la réflexion sur le « zéro artificialisation nette » et les options identifiées précédemment nous amènent de fait inévitablement à inscrire le processus d’artificialisation à venir dans une logique similaire à l’ERC. En réduisant de 50% sa consommation d’espaces naturels et agricoles, la Métropole nantaise s’est déjà mise en situation d’éviter une artificialisation potentielle supplémentaire importante.

Ce principe reste toutefois à nuancer car si l’objectif d’une neutralité en matière d’artificialisation parait logique, le travers de ce concept est qu’il peut donner le sentiment que l’artificialisation est compensable voire réversible. Or, compte-tenu des volumes d’artificialisation brute effectuée chaque année, la logique de compensation par renaturation de certains espaces ne pourra freiner qu’à la marge l’artificialisation. Elle interroge également fortement le financement à grande échelle d’un tel processus. Pour tendre vers un objectif de neutralité, le dispositif doit essentiellement porter sur l’évitement de la nouvelle artificialisation.

A travers le prisme des moyens d’actions dont disposent les collectivités pour mettre en œuvre leur politique publique, le schéma ci-dessous propose un panorama des différents leviers activables pour tendre vers une réduction de l’artificialisation. Ces leviers permettent de répondre à des cibles d’actions, mais doivent également être analysés au cas par cas selon la capacité d’acceptabilité des habitants et des élus. De même, une réflexion sur l’échelle à laquelle mettre en œuvre certaines de ces actions paraît essentielle compte-tenu des enjeux de coopération associés à la réduction de l’artificialisation.

A la lecture de ces leviers, il ressort que l’identification et la mobilisation des friches urbaines  et des secteurs « mal utilisés » deviennent entre autres des enjeux majeurs que les collectivités doivent saisir. Quelle que soit leur occupation future (renaturée ou réinvestie), leur connaissance et leur mobilisation sera l’un des leviers opérationnels pour tendre vers l’objectif de « zéro artificialisation nette ».

 

Zoom sur 3 leviers différents à étudier

Le versement pour sous-densité : un dispositif fiscal existant peu mis en œuvre
Le versement pour sous-densité permet aux collectivités compétentes en matière de PLU d’instaurer, pour une période de 3 ans reconductible, sur des zones U ou AU, une densité minimale de constructions à réaliser. En cas de non réalisation de cette densité, le porteur de projet doit s’acquitter d’une taxe calculée à partir de la valeur vénale du bien et de l’écart de densité observée (en m2 de surfaces de plancher). Le versement perçu par la collectivité peut alors être fléché pour des actions de transitions environnementales locales, voire pour financer par exemple des actions de désartificialisation de certains sites.
Toutefois, cet outil parait peu efficace dans le cas d’un marché immobilier tendu comme celui de l’agglomération nantaise. Les porteurs de projets n’ont généralement pas besoin d’outils incitatifs ou dissuasifs pour construire jusqu’aux plafonds de densité autorisés. A l’inverse, dans un contexte de marché non tendu, ce type d’outil peut avoir l’effet contre-productif de geler la constructibilité d’un terrain. En outre, il peut également être reproché à ce type d’outils d’entretenir une logique de « fraudeur-payeur » qui ne va pas forcément dans le sens d’une prise conscience générale sur l’enjeu de limiter l’artificialisation des sols.

La sur-élévation d’immeubles : l’une des solutions pour faire du renouvellement urbain
La surélévation de bâtiments permet d’augmenter la surface habitable d’un bien immobilier sans en modifier l’emprise au sol. Elle s’avère être une solution intéressante à expertiser, en particulier en milieu urbain, compte-tenu de la pression immobilière existante et de la rareté du foncier constructible. Volontairement ou non, la surélévation peut être bloquée par le plan local d’urbanisme. Pour la permettre, les règles de hauteurs et d’implantation doivent être anticipées, de façon à permettre la création de nouveaux logements via ce procédé.

Pour l’encourager, des mesures fiscales peuvent par ailleurs être mises en œuvre, comme par exemple la suppression de la taxe d’aménagement pour les nouvelles constructions de modifiant pas l’emprise au sol du bâtiment existant et créant un logement.

D’autres possibilités d’évolutions des constructions existantes peuvent également être envisagées pour produire de nouveaux logements ou locaux d’activités. L’optimisation des tissus déjà artificialisés passera par une généralisation et un meilleur partage des ces solutions.

 

Les opérateurs de compensation écologique : des expériences innovantes à élargir à la compensation de l’artificialisation nouvelle ?
En France, plusieurs procédures nécessitent obligatoirement de mettre en œuvre une séquence Eviter-Réduire-Compenser. C’est notamment le cas des projets d’aménagement soumis à autorisations. La loi contraint ainsi à opérer des mesures de compensation pour les impacts résiduels liés au projet. Les impacts résiduels sont les impacts environnementaux qui subsistent après l’application des mesures d’atténuation décrites dans l’étude d’impact. D’après l’art L. 163-1. I. du Code de l’environnement : « Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. ». C’est le principe d’équivalence écologique. Dans ce cadre, des opérations de compensation écologique pourraient prendre la forme d’opérations de désartificialisation et être mutualisées à l’échelle d’un grand territoire.

Plusieurs territoires se sont engagés récemment ou réfléchissement à la mise en place d’une gouvernance commune dans l’objectif de mettre en place, à une échelle pertinente, des coopérations pour appliquer le principe « Eviter-Réduire-Compenser » (syndicat mixte du SCoT de l’agglomération bordelaise, Orléans Métropole, agglomération de bergerac…). Organisée à l’échelle d’un territoire large, qui pourrait aussi être l’échelle départementale, l’opérateur de compensation a en charge la mise en œuvre des opérations de compensation écologique requises dans le cadre de certains aménagement. Compte-tenu des enjeux de mutualisation et de coopération pour tendre vers une neutralité en matière d’artificialisation, il pourrait être envisagé d’innover localement en mettant en place d’un tel opérateur en matière d’artificialisation.
Préalablement à la création d’une telle coopération, des études de faisabilité doivent être engagées pour quantifier et hiérarchiser les sites de compensation potentiels, évaluer l’opérationnalité des mesures au regard du rapport coût/gain et analyser des scénarios de gouvernance pour porter ce type de système.

Renaturer, comment fait-on ? Combien ça coûte ?

Selon les travaux conduits par les instituts de recherche spécialisés, la désartificialisation d’un sol comprend plusieurs actions ayant vocation à récréer les services d’un sol non artificialisé comme la production de biomasse, l’infiltration des eaux ou le stockage de CO2.

En fonction de l’occupation du sol concerné, plusieurs étapes peuvent s’avérer nécessaires :

  • Une étape de déconstruction si des bâtiments sont encore présents ;
  • La dépollution du site dans le cas de sols pollués ;
  • La désimperméabilisation des sols par le retrait de surfaces imperméables ;
  • La construction de technosols visant à reconnecter le sol aux écosystèmes naturels environnants (apport de terres végétales etc.).

Peu d’exemples de renaturation d’espaces artificialisés existent en France et leur coût est encore mal évalué (mais certainement substantiel).
La reconversion des terrains non imperméabilisés d’anciens aérodromes en surfaces agricoles ou en parc est souvent citée en exemple. Ainsi, un partenariat entre la Chambre d’agriculture, la métropole de Reims et plusieurs partenaires privés a permis de transformer en terrains agricoles les terrains non bâtis de l’ancienne base aérienne BA 112 de Reims. Compatibilisée comme une désartificialisation, le gain en matière de biodiversité d’un telle opération peut néanmoins être interrogé.

 

Dans son benchmark, France Stratégie, identifie un coût moyen total entre 95 et 400 euros / m2 (hors coût de déconstruction). Appliqué de façon théorique aux 750 ha d’artificialisation potentielle de Nantes Métropole à compenser, cela représenterait un budget de 712 millions à 3 milliards d’euros. Ces interrogations financières (en particulier la question du portage de ce coût) s’ajoutent à celles de la recherche de sites supports de ces projets.
Si elle n’est pas comptabilisé à proprement parler comme une action de renaturation de sites, la désimperméabilisation des sols et/ou la végétalisation seules de certains espaces urbains peuvent néanmoins permettre une amélioration du cadre environnemental et des conditions de vie des habitants face aux changements climatiques (ilots de fraicheur, infiltration des eaux…).  C’est d’ailleurs l’une des lignes directrices de la commission européenne  pour lutter contre la dégradation des sols et de la biodiversité.

C’est pourquoi la réflexion ne doit pas être biaisée par l’approche statistique et quantitative de l’exercice. L’amélioration des conditions de vie en milieu urbain (en particulier milieu urbain dense) devrait rester au cœur des objectifs de politiques publiques d’aménagement et pourrait aussi être appréhendée commune une « compensation » aux nouveaux flux d’artificialisation qui resteront inévitables.

Ainsi, d’autres actions peuvent être mises en œuvre, en particulier dans les milieux urbains, sans pour autant que celles-ci ne rentrent aujourd’hui dans la quantification chiffrée de l’artificialisation nette (telle qu’elle est actuellement appréhendée par l’Etat).

A Aubervilliers , un projet expérimental de plantation d’une forêt urbaine à la place d’un parking est un exemple de désimperméabilisation et végétalisation d’un site artificialisé. Après avoir désimperméabilisé le sol, celui-ci a été caractérisé (qualité du sol, présence de polluants…) puis reconstruit pour en améliorer sa fertilité. Des réserves d’eau et un sol drainant ont été aménagés dans le but de gérer les eaux de pluie et participer au rafraichissement urbain.

La ville de Paris travaille également sur un projet de désimperméabilisation des sols des cours d’écoles. Le projet vise à transformer les cours d’écoles en ilots de fraîcheur de proximité et à les adapter au changement climatique (favoriser la perméabilité, introduire des matières plus naturelles et choisir des revêtements clairs).

Enfin, les programmes de recherche appliquée type Dési’ville , lancé mi 2019 par le BRGM, ou plus localement le programme SoilServ mené conjointement par l’INRA et SCE Aménagement en partenariat avec le Pôle Métropolitain Nantes Saint-Nazaire, vise à proposer des outils d’aide à la décision sur la question de l’utilisation des sols au regard de leurs différents niveaux de services (infiltration de l’eau par exemple).

Les outils de planification réglementaire tels que le coefficient de pleine terre, le coefficient de biotope ou l’identification d’une « trame brune » à protéger (continuité des sols avec suffisamment d’espace pour la biodiversité) sont également des leviers en faveur d’une amélioration de la biodiversité en milieu urbanisé dont la mise en œuvre doit être observée à la lumière de chaque contexte et des effets réels qu’ils peuvent provoquer.

 

Conclusion

L’objectif du « zéro artificialisation nette » provenant du Plan Biodiversité a eu nationalement puis maintenant localement l’effet d’un petit séisme dans le milieu de l’aménagement et de la planification territoriale. Plebiscitée ou au contraire vivement critiquée, la notion mérite dans tous les cas que l’on prenne le temps d’en analyser les fondements, la portée et les limites, pour dépasser les postures idéologiques ou politiques.

La lutte contre la consommation excessive de terres agricoles et naturelles n’est pas une chose nouvelle. Les effets de l’artificialisation des sols, qu’ils soient écologiques, agricoles ou même sociaux, sont connus et largement documentés depuis des dizaines d’années. Pourtant, on ne peut que constater que les choix d’aménagement et les pratiques des professionnels évoluent doucement ; tout comme les mentalités et les habitudes culturelles des habitants qui conservent un attachement fort à l’habitat individuel et une dépendance à l’automobile. Les Pays de la Loire ont connu les taux d’artificialisation les plus importants ces dernières années parmis les régions françaises.

C’est pourquoi, la dégradation de la biodiversité et l’accélération du changement climatique amènent le gouvernement à vouloir engager les collectivités dans un changement de posture. Alimenté par certaines expertises, le principe de l’artificialisation « nette » fait son apparition. Si l’objectif était vraissemblablement de pouvoir « rassurer » sur la possibilité pour les territoires de pouvoir continuer à se développer sur de nouvelles terres agricoles ou naturelles, en échange de compensations, le concept est en réalité venu introduire une complexité qui laisse tous les acteurs concernés pour le moins perplexes.

Sans remettre en cause le bien-fondé des évolutions de pratiques nécessaires à un aménagement plus sobre des territoires, le sujet ne peut être abordé de façon générale et absolue. Sa mise en œuvre doit inévitablement tenir compte du contexte territorial dans lequel il se situe. En Loire-Atlantique ou en Vendée par exemple, la recherche d’une artificialisation nette nulle ne pourra passer qu’en grande majorité par une réduction de l’artificialisation brute des terres agricoles et naturelles. Cela interroge donc directement la capacité des collectivités territoriales à répondre à la forte demande de logements exprimée actuellement et la propension des élus et habitants à accepter une densification renforcée de tous les territoires.

Les différents leviers dont disposent les collectivités pourraient d’ores et déjà être activés si l’analyse des phénomènes était déjà mieux partagée. La mise en mouvement de certains outils, en particulier ceux liés à l’observation territoriale (inventaires, dispositifs de suivi du foncier…) et à la mutualisation de moyens (opérateurs de compensation par exemple), ne sera pertinente que si elle résulte d’une stratégie d’accueil et de régulation partagée.

L’Auran poursuivra son travail sur le « zéro artificialisation nette » et accompagnera ses adhérents pour mesurer et anticiper les phénomènes induits ; notamment en mettant à leur disposition des outils d’observation, de suivi et d’action adaptés à leurs réalités locales. Nous veillerons à répondre aux attentes exprimées sur les besoins de clarification des méthodologies et définitions, sur la question des échelles de mesure et d’analyse, sur les stratégies de coordination et de gouvernance partagée et enfin sur l’opérationnalité (formes urbaines, potentiel constructible, faisabilité, coûts..) de la densification des communes.

Télécharger le dossier
Pour aller plus loin

•    Ministère de la transition écologique et solidaire, Plan Biodiversité, 4 juillet 2018, 28 pages
•    France Stratégie, Julien Fosse, Objectif « zéro artificialisation nette » : quels leviers pour protéger les sols ? rapport au ministre de la Transition écologique et solidaire, au ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et au ministre chargé de la Ville et du logement, juillet 2019, 51 pages
•    Commissariat général au développement durable, Objectif « zéro artificialisation nette » Eléménts de diagnostic, collection Théma, octobre 2018, 4 pages
•    IDDRI – Science Po, Alice Colsaet, Artificialisation des sols : quelles avancées politiques pour quels résultats ?, décryptage, 2 janvier 2019, 4 pages
•    INRA, IFSTTAR, Sols artificialisés et processus d’artificialisation des sols : déterminants, impacts et leviers d’action, synthèse de l’expertise scientifique collective, décembre 2017, 127 pages
•    Vers une renaturation des sols : retour sur la journée technique du 08 octobre 2019 à la Défense
https://www.cerema.fr/fr/actualites/solutions-ville-demain-renaturation-sols-retour-journee
•    Observatoire du Plan biodiversité sur l’Artificialisation des sols : https://artificialisation.biodiversitetousvivants.fr/
•    CEREMA Nord-Picardie, Mesure de l’artificialisation à l’aide des Fichiers fonciers : méthodologie, 21 juin 2019, 75 pages

 

Contacts

Hervé Patureau, responsable du pôle Habitat – Démographie – Planification
herve.patureau@auran.org // 02 40 84 55 87

Romain Siegfried, responsable du pôle Energie – Environnement – Espaces
romain.siegfried@auran.org // 02 40 84 55 75