Le télétravail : réalité(s) et idées reçues

Le télétravail, entre définition juridique et pratique informelle

Déjà ancien (les premières formalisations du concept datant des années 1950), le télétravail se base sur la capacité à travailler hors d’un lieu de travail fixe grâce aux technologies de l’information et de la communication. Malgré une apparition tardive dans le droit français (2012), sa pratique s’accélère et se démocratise, portée par une évolution en profondeur des modes de travail et l’accès à des moyens technologiques performants.

Ainsi, la loi Warsmann du 22 mars 2012 a introduit dans le Code du Travail (articles L. 1222-9 à L. 1222-11) la première définition du télétravail, et définit ses modalités d’application pour le secteur privé. Si le principe général est similaire, les règles diffèrent pour le secteur public, régi par la loi Sauvadet du 12 mars 2012 (et son décret d’application du 11 février 2016).

Dernière évolution en date, une ordonnance de septembre 2017 prise dans le cadre de la réforme du Code du Travail vient assouplir les dispositions nécessaires à la mise en place du télétravail dans les entreprises. Le télétravail est ainsi défini de manière officielle comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication. »

Cependant, au-delà du cadre légal, de multiples formes de « travail à distance » existent en parallèle. Ainsi, là où le télétravail (au sens de la loi) ne pouvait concerner que le salarié exerçant cette activité à travers un cadre formalisé, de nombreux actifs travaillaient déjà « sans bureau fixe ».

Une transformation du rapport au lieu de travail

Que l’on parle de travail à distance ou de télétravail, les conséquences sont les mêmes : le rapport au lieu de travail évolue notamment grâce aux outils numériques. La multiplication des lieux de travail potentiels, si elle ne se traduit pas nécessairement par une disparition pure et simple d’un lieu de référence, réinterroge les manières de travailler, seul ou à plusieurs.

Le domicile reste cependant, dans la grande majorité des cas, le lieu privilégié du travail à distance (3 personnes sur 4 – LBMG Worklabs, 2012), pour de multiples raisons : facilité, souplesse… mais aussi méconnaissance des solutions alternatives.

Pourtant, les tiers-lieux, des espaces intermédiaires entre lieu de travail et domicile, se sont développés très rapidement ces dernières année. Une de leurs spécificités est aussi d’aller plus loin que la mise à disposition d’un poste de travail, mais de chercher la constitution d’une communauté d’usagers et faciliter la mise en réseau des personnes et des ressources.

Si les tiers-lieux ont globalement les mêmes objectifs vis-à-vis de leurs usagers, il est possible de distinguer différentes catégories de lieux en fonction de leurs caractéristiques, des publics cibles, ou encore de leur localisation. On pourra ainsi identifier les espaces de coworking, de taille réduite et à destination d’actifs urbains, ou les télécentres, plutôt destinés à accueillir des salariés en milieu périurbain ou rural et limiter les déplacements domicile-travail, etc.

 

De nombreuses idées reçues qui appellent à une évaluation des effets du télétravail

Le télétravail peut être considéré comme un élément de réponse à de nombreux enjeux de société, tant par les travailleurs et les entreprises que par les acteurs publics : bien-être au travail, compétitivité des entreprises, dynamisme et attractivité des territoires, égalité professionnelle, transformation numérique de la société, développement durable… Il s’agit en tout cas d’une question qui soulève de nombreuses attentes.

Mais le télétravail n’est pas non plus une solution miracle : il existe aussi des limites, plus ou moins bien perçues, qui peuvent constituer un risque.

  • Le télétravail, un facteur d’amélioration du bien-être personnel ?
    • Plus des 2/3 des télétravailleurs y trouvent des conséquences positives pour leur qualité de vie (sondage BVA-Sémaphores, 2015)…mais l’Organisation Internationale du Travail a souligné les menaces en cas de pratique trop intensive (plus de 3 jours par semaine). Il existe des bénéfices reconnus pour les actifs en télétravail, mais il ne s’agit pas d’une pratique généralisable à l’ensemble de la semaine pour obtenir des effets durables sur la performance des salariés et des entreprises.
  • Le télétravail est accessible à tout le monde ?
    • Alors que 85 % des personnes interrogées seraient favorables à la généralisation du télétravail (sondage Odoxa, 2015) et que les leviers juridiques sont assouplis pour faciliter son recours, le télétravail ne pourra pas concerner l’ensemble des actifs. Certains métiers ne sont pas éligibles du fait d’obligations présentielles. D’autres actifs peuvent aussi, par choix, ne pas y recourir. Enfin, il d’abord s’agit d’une modification de l’organisation des entreprises qui peut prendre du temps à envisager, notamment pour les managers.
  • Réduire la pollution grâce au télétravail ?
    • 3 actifs sur 4 pensent que le télétravail aurait des effets positifs sur l’environnement (sondage BVA-Sémaphores, 2015), tandis que des collectivités y voient un moyen de réduire les déplacements domicile-travail et les émissions associées. Pourtant, il faut prendre en compte le fait que le télétravail ne concernerait que « 25 % des actifs 30 % du temps » (Greenworking), ce qui relativise la pollution réellement évitée, d’autant que le travail à distance pourrait même induire de nouveaux déplacements non réalisés auparavant.
  • Multiplier les télécentres pour redynamiser les territoires ?
    • Aujourd’hui, l’essentiel des tiers-lieux se concentre dans les centralités urbaines. Pourtant, 75 % des travailleurs estiment que le télétravail peut contribuer au maintien d’emplois dans des territoires moins bien développés (sondage BVA). Des études menées notamment par la Caisse des Dépôts ont ainsi montré l’impact positif de l’installation de télécentres  en milieu périurbain et rural. Néanmoins, de nombreuses expériences se sont aussi avérées infructueuses, car inadaptées à la demande locale, trop coûteuses, manquant d’animation, etc.

 

Un positionnement à trouver pour les pouvoirs publics

S’il ne faut pas surestimer les effets du télétravail, qui demeure avant tout une modification organisationnelle du travail dans les entreprises, cela ne veut pas dire pour autant que sa pratique ne peut pas générer d’effets bénéfiques pour la collectivité. Alors que les effets semblent plus limités sur l’environnement ou la circulation routière par rapport aux ambitions qui peuvent y être associées (cf. approche prospective des effets du télétravail sur les déplacements en Loire-Atlantique, pp 8-9 de la synthèse « Le télétravail, un virage à négocier »), le développement du télétravail constitue toutefois un levier à prendre à compte, mais qui suppose d’être complété par d’autres actions pour parvenir à des effets concrets.

Considérant les enjeux posés par le télétravail, les collectivités ont tout intérêt à inclure son développement dans une stratégie adaptée de développement économique pour maximiser ses effets (accompagnement des entreprises , actions de communication, plans de déplacement d’entreprises…). Elles doivent également, à travers le développement de tiers-lieux, se coordonner entre elles pour éviter un excès d’offre sur un territoire.